Avocat à Nantes – Me Cottineau Droit des victimes & divorce

Du poison dans les vignes

pesticides vignes

Quatre ans après son exposition aux pesticides, une ex-employée d’un vignoble du Sud-Ouest attend que son employeur soit poursuivi. On lui propose une indemnisation de 107 euros par mois.

Sa vie a basculé il y a quatre ans, un jour de juin, entre 6 heures et 7 heures du matin. Arpentant les rangées du domaine Monestier La Tour, qui produit des bergeracs réputés, Sylvie S. redresse les vignes, couchées par le poids des raisins. Elle travaille sans même une paire de gants. Au bout de quelques heures, elle se sent mal: soudain épuisée et essoufflée, le visage brûlant, la bouche et la mâchoire endormies, « comme après une anesthésie chez le dentiste« . Elle rentre chez elle, prend une douche, s’endort. Le soir venu, Sylvie S., incapable de marcher, prise de diarrhées, de vertiges et de vomissements est conduite aux urgences de l’hôpital de Sainte-Foy-la- Grande (Gironde). « Là, le médecin m’a demandé dans quel domaine je travaillais. Je lui ai répondu ‘dans les vignes’. Alors il m’a dit: ‘Ils ont dû traiter juste avant.’  »

Le médecin a vu juste. La parcelle sur laquelle travaille Sylvie a été « traitée » la veille. Sans le savoir, Sylvie a reçu en plein visage de hautes doses de produits insecticides hautement dangereux. Du Clameur qui, selon la fiche technique fournie par BASF, peut entraîner entre autres choses une paresthésie, un trouble de la sensibilité qui donne la sensation de palper du coton et peut s’accompagner d’une anesthésie. Le nom du second produit incriminé prête à polémique. Le jour de l’accident, un employé du château a expliqué qu’il s’agissait du Pyrinex. Guillaume Launay, directeur du château, parle aujourd’hui d’un autre pesticide, le Cabrio Top. Ce qui ne change rien à l’affaire: les trois produits comportent des phrases (comme disent les chimistes) R38 (Clameur et Cabrio Top) et R43 (Pyrinex) qui imposent d’attendre vingt-quatre ou quarante-huit heures avant de permettre à quiconque de rentrer dans la parcelle.

« C’est comme si on m’écrasait la tête dans un étau »

Or le directeur du Château Monestier La Tour reconnaît que « la vigne a été traitée en fin d’après-midi tandis que Sylvie était dans la parcelle le lendemain vers 6h30« . Soit moins que les délais légaux. Sylvie S. est aujourd’hui une autre femme. Il y a quatre ans, les autres employés du château la décrivaient comme une force de la nature. « Mes collègues étaient étonnés par ma résistance et ma force physique. J’ai toujours aimé travailler dehors, au contact de la nature. Je travaillais quarante-quatre heures par semaine et ça m’allait bien. Maintenant, rien que d’étendre mon linge ou de laver mes carreaux, je suis épuisée. Toutes les dix minutes je dois me reposer. » Avant, elle qui adorait conduire avalait 1.000 km en une nuit pour rejoindre sa famille. Aujourd’hui, elle recommence tout juste à parcourir seule les 80 km qui la séparent de Bordeaux.

Récemment, le maire de son village lui a proposé de travailler à l’école maternelle. Elle en rêvait, avait besoin de toucher un salaire, mais a dû refuser, la mort dans l’âme. « J’en suis incapable, je ne peux pas tenir debout toute une journée. » Les six mois qui ont suivi l’accident ont été marqués par de graves troubles de la mémoire. « J’oubliais des conversations entières. » Ils ont heureusement disparu, à l ’inverse des épouvantables maux de tête qui ne la quittent plus, elle qui n’avait jamais eu de migraine de sa vie. « C’est comme si on m’écrasait la tête dans un étau. » Elle est toujours victime de vertiges, d’accès de faiblesse, de nausées… Le mois dernier, la Mutualité sociale agricole lui a adressé une proposition de rente : 322 euros par trimestre (107 euros par mois), à prendre ou à laisser. L’avocat de Sylvie S., M. Stéphane Cottineau, spécialiste des questions d’environnement, a décidé de contester le montant. L’avocat se bat aussi sur le volet judiciaire de l’affaire.

Une faute, mais quelle faute?

Le 4 mars 2008, l’inspection du travail a transmis au procureur de la République de Bergerac le procès verbal rédigé à l’encontre du Château Monestier La Tour. Joint par le JDD, le procureur explique que le dossier a été « transmis récemment au délégué du procureur dans le cadre d’une composition pénale« . Une mesure qui suscite la colère de Me Cottineau: « L’inspection du travail a transmis son PV il y a deux ans. Nous sommes bien au-delà des lenteurs normales de la procédure. Il y a une vraie peur de mettre en cause les intérêts financiers du vignoble du Sud-Ouest. J’en veux pour preuve cette proposition de composition pénale, une procédure réservée à des délits mineurs, comme les querelles de voisinage. Nous sommes bien loin de ça dans cette affaire.« 

L’avocat exige aussi que soit reconnue la faute inexcusable de l’employeur, une reconnaissance qui permettrait à sa cliente de toucher une indemnisation conséquente. Une faute, mais quelle faute? « Pour nous, cette histoire est réglée« , lâche le gérant du château, Guillaume Launay. En quatre ans, ni lui ni le propriétaire du château, le richissime homme d’affaires hollandais Philip de Haseth-Möller, n’ont pris des nouvelles de leur ancienne employée, qui vit à quinze minutes de là. Pas un mot. Juste une défense consistant à dire que Sylvie S. aurait « développé une hypersensibilité aux produits« . Ou que ce sont les agriculteurs voisins qui auraient traité leurs terrains, les produits gagnant alors, au gré des vents, la parcelle où elle travaillait ce jour de juin.

Paru dans le Journal Du Dimanche - JDD le 19 septembre 2010
Quitter la version mobile